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Bhaisajyaguru : 
Le maître guérisseur du Bouddhisme Mahayana

Le Musée National de Bangkok présentait, au cours de l’été 2022, l’exposition Arogya Panidhana sous-titrée “pour une humanité exempte de maladies”, l’occasion de revenir sur l’élément central de la médecine traditionnelle dans le Bouddhisme Mahayana : Bhaisajyaguru, le Bouddha de La Guérison et de la Médecine. 

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Bhaisajyaguru, Bouddha couronné en méditation (style Lopburi, XIIIe siècle - NMB)

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Shakyamuni, le Guérisseur Universel

À l’origine du Bouddhisme, avant le premier millénaire de notre ère, le rôle de guérisseur universel était dévolu au Bouddha historique Shakyamuni. Sa doctrine se présentait comme un remède contre la souffrance, en des temps où la maladie (arogya) était considérée comme résultat du karma et donc des actions passées d’un individu. De nos jours encore, les bouddhistes aspirent, en suivant la Voie du Juste Milieu, au Nirvana, l’état de repos parfait exempt de toute maladie. D’autant plus que quarante neuf jours après avoir atteint l’Éveil, Shakyamuni reçoit des mains du Dieu Indra un fruit de myrobolan, symbole de la panacée, dont les bénéfices, disent les textes religieux, sont “infiniment supérieurs à ceux de dix rayons de soleil”, représentant sa capacité à guérir toute maladie.
 

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Detail d’une image du Bouddha Shakyamuni tenant un fruit de myrobolan (style Rattanakosin - XIXe siècle)

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Né au Népal, le Bouddhisme s’est ensuite divisé en deux courants prépondérants. Le Bouddhisme Theravada, voyageant vers le sud et pratiqué de nos jours en Thaïlande, conserve les préceptes initiaux de la doctrine. Ainsi pour la conservative École des Anciens, Shakyamuni reste le Guérisseur Universel et sa doctrine un remède contre toute souffrance.

Le Bouddhisme Mahayana, voyageant vers le nord, va, notamment en Chine, se modifier en fonction des évolutions de la société. L’attachement des populations à la médecine traditionnelle et à ses différentes spécialisations, fera naître dans un premier temps le concept de Maître Guérisseur qui élimine la maladie essentielle, l’ignorance, puis le Bhaisajyaguru, celui qui recherche le traitement juste, et qui deviendra le Bouddha de la Médecine.

Le Bouddhisme Vajrayana pousse à l’extrême cette segmentation en conférant au Bouddha de la Médecine sept corps qui assument ses différentes fonctions de guérisseur. Ces émanations sont d’ailleurs parfois considérées comme des déités à part entière et, au Tibet, les images du Bhaisajyaguru sont parfois représentées entourées de ces différentes incarnations.
 

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Representation tibétaine de Bhaisajyaguru entouré de ses émanations et d’autres déités (Thangka)

(Photo:

https://davidlai.typepad.com/.a/6a01310fb8e76f970c0133f5a079a2970b-600wi)

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Bhaisajyaguru, bleu comme…

Le nom complet en sanskrit du Bhaisajyaguru signifie “maître de la médecine et roi du lapis-lazuli”. Pour cette raison, l’iconographie du Bouddha de la Guérison et de la Médecine le représente souvent en bleu, ou parfois même taillé dans le lapis-lazuli. 

Roche sédimentaire contenant des silicates qui lui confèrent une couleur bleu-azur, le lapis-lazuli est également utilisé en lithothérapie comme une pierre d’équilibre, d’apaisement, de régulation et de réparation, tant physiques que psychologiques. Ceux qui la pratiquent considèrent qu’elle élève l’âme et stabilise l’esprit.

Selon le Bouddhisme Mahayana, Bhaisajyaguru est l’un des cinq Jinas ou Dhyany Bouddhas, les Bouddhas qui méditent en permanence. Sa dernière vie est décrite dans la Sutra du Bouddha de la Médecine. Il vivait aux temps du Bouddha historique et était un grand médecin, ayant traité de nombreux patients mais avait également largement enseigné le Dharma. Après la mort de Shakyamuni, il aurait voyagé, poursuivant avec compassion son œuvre médicale tout en enseignant la doctrine bouddhiste. Devenu Bodhisattva, il prononça ses Douze Grands Vœux et atteignit l’Éveil par sa pratique de la compassion. Devenu Bouddha, il réside au royaume de l’est du “pur lapis-lazuli”, le Vaidurya Nirbhasa. Il y est assisté par deux Bodhisattvas qui en émanent, Suryaphraba et Candraprabha, symbolisant respectivement le soleil et la lune.

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À gauche: Phra Phaisajchayaguru tenant un vajra; à droite: Bodhisattva Suryaprabha tenant un pot médical
 

Images du Bouddhisme Mahayana fabriquées à la demande de Jayavarman VII (Art Khmer en Thaïlande, sanctuaire de Chang Pi - XIIe siècle)

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Les Douze Grands Vœux du Bhaisajyaguru

Les fonctions du Bhaisajyaguru sont définies par ses Douze Grands Vœux. Ces vœux de compassion lui confèrent un très large champ d’action sur tous les êtres sentients et sont invoqués au travers de quatre mantras spécifiques. Dans la Sutra dédié au Bouddha de la Médecine, il est décrit comme un Bodhisattva ayant atteint un état de samadhi (concentration intense obtenue par la méditation) nommée “élimination de toutes souffrances et afflictions des êtres sentients”. Cet état exceptionnel lui permit de réciter une dharani (mélopée aux pouvoirs magiques) dont sont tirés les quatre mantras.

Les quatre champs d’actions du Bhaisajyaguru peuvent ainsi être résumés :

  • une fonction religieuse, en exaltant la voie du Bodhisattva (par exemple dans le 1er vœu, “illuminer de son aura pour permettre à chacun de devenir un Bouddha tout comme lui”) ;

  • une fonction spirituelle, en établissant un guide moral de vie (par exemple dans son 5e vœu, “aider les êtres à suivre les principes moraux”) ;

  • une fonction curative, en soulageant le corps ainsi que l’esprit (par exemple dans son 6e vœu, “guérir les êtres qui naissent avec des difformités, des maladies ou d’autres souffrances physiques”) ;

  • une fonction sociale, en aidant les êtres dans le besoin (par exemple dans son 12e vœu, “vêtir ceux qui sont sans ressource et qui souffrent du froid et des moustiques”)

 

Images et rites du Bhaisajyaguru dans le Bouddhisme Mahayana

De nos jours la couleur bleue est souvent associée aux images du Bhaisajyaguru : statues elles-mêmes sculptées dans le lapis-lazuli ou peintes en bleu, dessins et peintures murales représentant le Bouddha en bleu ou entouré de cette couleur. Quoi qu’il en soit, de nombreuses images en bois, bronze ou en tout autre métal peuvent également rester brutes.

Bouddha de méditation, Bhaisajyaguru est souvent représenté assis sur un piédestal en fleur de lotus, vêtu des trois robes du moine bouddhiste, couvrant les épaules mais ouvertes sur le torse. Un visage poupin et un corps replet signent sa bonne santé, et son ushnisha prend parfois la forme d’un petit pain de sucre.

Dans la plupart de ses représentations, le Bhaisajyaguru tient dans la main gauche un pot à nectar médical. Dans sa main droite, entre le pouce et l’index, il tient un fruit de myrobolan (Terminalia chebula), fruit charnu à noyau qui, séché et du fait de ses propriétés astringentes, entrait et entre encore dans la composition de nombreuses préparations médicinales traditionnelles. Le terme “mirobolant” en français est d’ailleurs très certainement un dérivé de la dénomination de ce fruit.

Le Bouddha de la Médecine est très vénéré dans les pays pratiquant le Bouddhisme Mahayana. En Chine, il est partie intégrante de la Trinité des Bouddhas, associé au Bouddha historique et au Bouddha Amithaba, le Bouddha de l’ouest. Mais c’est au Tibet qu’un culte à part entière lui est dédié. Il y est invoqué pour soigner les maladies du corps et de l’esprit, mais également guérir de l’ignorance ou purifier un mauvais karma. Si vous adhérez à ce précepte, en cas de maladie, vous devrez réciter chaque jour le très long Mantra du Bouddha de la Médecine au-dessus d’un verre d’eau. Vous boirez ensuite l’eau qui aura été bénie par le pouvoir du mantra et de Bhaisajyaguru lui-même. Vous devrez répéter cette opération chaque jour jusqu’à guérison complète… si elle survient !


Et Bhaisajyaguru en Thaïlande ?

La Thaïlande pratiquant le Bouddhisme Theravada, la croyance en un Bouddha de la Médecine et de la Guérison n’y est pas partagée ; Shakyamuni y reste le Guérisseur Universel. C’est un autre personnage, Phra Kring, qui permet également aux fidèles de pratiquer la pureté du corps et de l’âme, et qui est pourvu de grands pouvoirs d’enseignement pour les êtres humains. Il est très souvent représenté sous forme d’amulettes qui, entre autres, apportent longue vie, richesse, santé, mais également harmonie au sein du foyer. Du fait de cette dernière fonction, elle a la particularité d’être la seule amulette qui sera transmise de génération en génération dans une même famille.

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Amulette de Phra Kring (Rattanakosin - XXe siècle)

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Néanmoins, de nombreuses images de Bhaisajyaguru (Phra Phaisajchayaguru en Thaï) peuvent être admirées en Thaïlande. Elles proviennent de la période Lopburi/Khmer, fortement influencée par le Bouddhisme Mahayana. Le style des images reste alors très caractéristique de cette période et les positions du Bhaisajyaguru empruntent fort à celles de Shakyamuni, telles que les fréquentes images d’un Bouddha couronné en méditation sous Naga. La reconnaissance d’un Bhaisajyaguru ne vient alors que du pot à panacée qu’il tient dans la main.

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Phra Phaisajchayaguru (Bouddhisme Mahayana), portant un costume traditionnel de l’art du Bayon (règne de Jayavarman VII - style Lopburi, XIIe siècle)

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Un des seuls grands Bouddhas de la Médecine que vous pourrez voir en Thaïlande se trouve au monastère Songdhammakalyani à Nakhon Pathom. En 1982, une universitaire qui deviendra ensuite nonne traduit la Sutra du Bouddha de la Médecine en Thaï. Peut-être inspirée par ses longues heures de traduction, en 1994, elle voit Bhaisajyaguru au cours d’une de ses méditations. Elle décidera de lui faire construire un temple à son image, qui reste néanmoins très décrié par les  pratiquants du Bouddhisme Theravada.

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Phra Phaisajchayaguru, Bouddha de la Médecine en Thaïlande
(Monastère de Songdhammakalyani, Nakhon Pathom - XXIe siècle)

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Remerciements à Christopher McCormick pour sa précieuse relecture.

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Texte: 

Frédéric Morier   

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Références:

  • ALPHEN J. van and ARIS, A. (1996) - Oriental medicine: an illustrated guide to the Asian arts of healing - 1st Shambhala Ed., Boston, MA

  • BIRNBAUM R. (2003) - The Healing Buddha - Shambhala Ed., Boulder, CO

  • BOSCH REITZ S.C. (1924) - Trinity of the Buddha of Healing - The Metropolitan Museum of Art Bulletin, 19 (4):86-91

  • CHEN T.S.N. et al. (2004) - The Healing Buddha - Journal of Medical Biography, 12 (4): 239-241

  • CHHEM R.K. (2005) - Bhaisajyaguru and tantric medicine in Jayavarman VII hospitals - Siksacakr n#7

  • COPPIETERS J.C. (2023) - Bhaisajyaguru - Encyclopædia Universalis

  • Lama ZOPA RINPOCHE (2019) - Pratique du Bouddha de la Médecine (Medicine Buddha Sadhana) - Fondation pour la Préservation du Bouddhisme Mahayana, 1ère Ed.

  • PELLIOT P. (1903) - Le Bhaisajyaguru - Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient, vol. 3 : 33-37

  • SCHOPEN G. (2017) - Buddhism and Medicine: an anthology of premodern sources - Columbia University Press, New York

  • Ven. HSUAN JUNG (2001) - Sutra of the Medicine Buddha - International Buddhist Monastic Institute

 

Photos:

Frédéric Morier

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